Le 1e mai 2015, l’association Diversicom m’a conviée à partager mon parcours professionnel auprès de jeunes talents en situation de handicap.  Dans le cadre verdoyant du château de la Bawette (Wavre), la nature s’offre en spectacle, en avant plan elle a été rasée pour y abriter un parcours de golf.

Ce jour là le château accueille deux groupes si distincts. Le nôtre,  des personnes handicapées dont l’objectif est l’inclusion professionnelle, et celui de golfeurs, swing à la main dont le but est de faire rentrer une petite balle dans un trou.
L’aisance, l’insouciance et la légèreté effleurent autant les uns, que la lourdeur des corps, l’inconnu, la persévérance dominent les autres.

Deux mondes que tout oppose logés à la même enseigne le temps d’une journée.

brussels-golf

Capture d’écran 2016-04-09 à 10.29.25

 

 

 

 

 

 

La journée commence par un tour de table des 9 participants à la recherche d’un emploi, un couple de coach et les deux membres de l’association hôte. L’ambiance est légère, les regards timides et souriants, mais déjà le premier tour de table me conforte. Arnaud le coach prend la parole, il aborde les points de la journée, une introduction ambitieuse, à l’image des participants.

Capture d’écran 2016-04-09 à 10.29.03

 

Puis vient mon tour, tous les regards sont tournés vers moi, même ceux des personnes malvoyantes qui me regardent avec écoute. Je suis invitée ce jour là pour témoigner sur mon expérience dans le monde professionnel. C’est la première fois que je vais parler de mon handicap, de ma vie professionnelle, de mes compétences devant une assistance. C’est étrange, un drôle de sentiment s’invite, au lieu du trac, de la timidité, un bien-être m’habite. Les sourires renforcent mon aisance. Et me voici l
Afin de préserver la confidentialité du programme de Diversicom, je ne m’étalerai pas sur le contenu de la journée. Jje me contenterai de vous livrer le témoignage que j’ai partagé sur mon inclusion professionnelle.

Pour commencer, il n’y avait rien de plus simple, rédiger un CV qui ne faisait à l’époque qu’une ligne  – mon stage à l’ambassade du Mexique – l’étoffer avec quelques indications : Master en traduction d’une prestigieuse haute école, quadrilingue, deux expériences de vie à l’internationale, ouverte, motivée, ponctuelle…Mais j’avais omis un léger détail, mon handicap. Après tout, sur un CV il parait qu’il faut indiquer tous ses atouts!  J’avais décidé d’indiquer mon petit truc en moins commet un petit truc en plus sur ma lettre de motivation. Libres aux entreprises de m’en parler à l’entretien téléphonique. Mon premier entretien d’embauche concernait une fonction de consultante en recrutement.  Le jour J, j’y suis allée très décontractée, « mains dans les poches » car je savais ne pas convenir au profil, je souhaitais plutôt gagner de l’expérience pour mes prochains entretiens. En arrivant, et bien que le recruteur connaissait ma situation de handicap, il a eu le réflexe de me tendre la main. Bingo ! Cela a été une aubaine pour moi, ce geste l’a un peu déstabilisé. J’ai dû alors presque prendre le rôle inverse, hésitant à lui proposer un verre d’eau, sourire aux lèvres. Son masque d’employeur est tombé quelques instants pour nous retrouver dans un lien d’humain à humain à armes égales. Très vite il a repris le dessus. Il était confus et cherchait ses mots, s’excusant de ne pas avoir pris connaissance de mon handicap sur mon CV… A cela je lui ai répondu « Pas de problème monsieur, n’avez-vous pas lu ma lettre de motivation? » Je lui ai posé cette question, car je sais pertinemment que les employeurs ne lisent jamais les lettres de motivation, lui rappelant que tout comme moi, il n’était pas parfait. Nous avons pu alors briser la glace. Briser le tabou du handicap, les idées préconçues, les clichés. Je lui ai tendu la perche pour qu’il me pose toutes les questions qu’il voulait afin de pouvoir ensuite se concentrer sur l’entretien même et l’objet de ma présence. Il a aimé mon audace, mes compétences, ma réaction face à ses maladresses et le fait que je garde le focus sur mon entretien.

Moi qui pensais gagner de l’expérience en entretien d’embauche, quelques semaines plus tard c’était dans la boîte.
En qualité de consultante, j’étais d’une part commerciale pour « vendre » les compétences des autres auprès des clients, d’autre part je passais les tests de langues et entretiens des candidats. De nouveaux challenges m’attendaient : les horaires, la charge de travail, les objectifs à atteindre, l’adaptation du poste de travail  à conjuguer avec le handicap. Tout cela doit être discuté clairement dès le début pour être performant et heureux. Pas question de m’entêter ou à plonger mes limites dans le déni. Être commerciale et en situation de handicap est une expérience que j’ai eu plaisir à relever. Représenter une entreprise auprès des clients, analyser les compétences des candidats, faire jouer mes facultés linguistiques m’ont donné encore plus confiance en moi. Après ce premier emploi au rythme vertigineux, je me suis orientée vers le domaine humanitaire en qualité de traductrice, ma formation initiale. Après deux ans de fonction l’envie d’apprendre à me connaitre s’est faite ressentir. Je voulais continuer à être active, mais autrement. Donner plus de sens à ma vie, explorer d’autres talents. Je me suis découverte un potentiel en dessin, puis en peinture. Et j’ai été assez folle pour croire en mes petits orteils. La passion m’a menée vers les cours de l’académie des beaux-arts de Saint-Josse (Bruxelles). Mon but était d’apprendre et de préparer le concours d’entrée à l’association des artistes peignant de la bouche et du pied.

Je compare ma vie professionnelle à un voyage initiatique, débutée par une soif d’exaltation et de défis, puis de solidarité et d’humanisme, enfin comprendre que ce que je cherchais depuis si longtemps était le sens de ma vie, la connaissance de moi-même.

10 thoughts on “Emploi et handicap

  1. Si tu peins aussi bien, Sarah, c’est que tu dois être complètement libérée. « Le jour J, j’y suis allée très décontractée, « mains dans les poches » car je savais ne pas convenir au profil. ». Et particulièrement fine dans les rapports humains. « Bien que le recruteur connaissait ma situation de handicap, il a eu le réflexe de me tendre la main. Bingo ! Cela a été une aubaine pour moi, ce geste l’a un peu déstabilisé. »

    J’ai dans l’idée que tu as dû être une enfant aimée par ses parents pour avoir réussi à être toi-même et à exprimer autant ce qu’il y a de beau en toi, c’est en tout cas l’impression que me donne la lecture de cette expérience.

  2. Quel beau texte ma jolie et si fière de toi 🙂 Le contraire m’aurait étonné , tu es une belle personne , forte , intelligente et humble … J’espère de tout cœur que tu t’épanouiras dans ce que tu aimes …

    Plein de gros bisous

    • Mille mercis ma belle Fayza. Je suis très touchée par ton message, d’autant que tu as bien connu mes premiers pas dans le monde professionnel 😉 Quelle aventure!

  3. un pti coucou Sarah sur ton blog, pour te dire que l’article que tu as écris et tout simplement formidable.
    tu as un caractère et un moral d’acier pour faire voler en éclats toutes les barrières, et ainsi, par ta joie de vivre et ta bonne humeur;
    tu reste humble et c’est pour tout cela que je t’encourage vivement à poursuivre dans la découverte de ta personnalité et de continuer à faire vivre cette passion qui je le souhaite te portera très loin dans ton épanouissement ^_^.

    pleins de bisous d’encouragement ^_^

  4. Plutôt osé de ta part l’échange avec ce recruteur dont on arrive à se projeter la scène avec le talent d’écriture dont tu fais preuve, dans l’action je me demande ou plutôt je te demande mais savait-il que faire ensuite de cette main maladroite tendue par réflexe? En plus d’un verre d’eau, proposer une tes poches aurait-il pu lui être utile? Si ce n’est pas une bonne idée, n’hésite surtout pas.rire. Plus sérieusement vu la tournure de l’entretien, il a eu loisir de découvrir une personne spontanée, sans fard et ayant les compétences pour ce poste qui t’a aidé à mieux te connaitre, prendre divers orientations pour finalement choisir le dessin et la peinture qui semblent te combler, t’épanouir et de plus avec des projets…c’est déjà un beau parcours que je te souhaite très long.

  5. Bonjour, Sarah.

    Ce que je retiens de tes écrits ne réside pas en cette expérience de vie spécifique, mais se résume à ta phrase de conclusion :
    Je compare ma vie professionnelle à un voyage initiatique, débutée par une soif d’exaltation et de défis, puis de solidarité et d’humanisme, enfin comprendre que ce que je cherchais depuis si longtemps était le sens de ma vie, la connaissance de moi-même.

    Nous sommes légion à partager cette vision. Hélas, sur le cheminement de la vie, peu d’entre nous ont la chance de bénéficier de la solidarité et de l’humanisme auxquels tu fais référence ; et quelque chose me dit que l’écrire ainsi est aveu du fait que tu as parfaitement conscience de ta chance.

    De toutes les évolutions possibles, pour l’homme, l’humilité est sans nul doute la plus importante. Etre capable de reconnaître sa chance, c’est être capable de reconnaître ses propres limites… C’est être capable de faire face à cette réalité selon laquelle nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, tributaire d’un tiers, au-delà de la providence… C’est être capable conférer le statut d’égal à son prochain pour véritablement échanger, partager, sans jamais préjuger.

    Je souhaite que les personnes qui profiteront de ton statut de consultante seront sensible à cette qualité humaine, et que celle-ci leur sera bénéfique.

    Je t’embrasse.

    -Number-
    Un « ami FaceBook » : http://www.facebook.com/VernaVeritas

    • Je te remercie pour ton commentaire qui m’éclaire, un véritable enseignement. Il est vrai que j’ai conscience d’avoir eu, dans ma difficulté, de la chance d’avoir rencontré de belles âmes.
      D’autre part, je ne suis plus consultante à l’heure actuelle. Je me suis définitivement tournée vers un parcours artistique.
      Pour en revenir à ton commentaire plein de sens, je conclurai le mien avec cet extrait de « L’Inespérée » (de Christian Bobin)
      “L’intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir.”

Répondre à Steve Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *